Disparaître

Des poèmes

Rémanence

La ville reprenait son fastidieux vacarme

La nuit se répandait comme une envie de larmes

Je venais d’épuiser mes dernières espérances

Je ne reverrai pas les grands ciels d’insouciance

Destiné aux splendeurs atroces et sporadiques

J’étreins ton beau fantôme sur mon matelas froid

Puis swipe sans volonté sur un écran d’effroi

Où les stratèges s’excitent, s’exécutent, se répliquent

La société éclate en tribus sanguinaires

Barbares, idéologues, joie mauvaise et rancœur

Amours dégénérés en revanches amères

On n’a jamais autant écrit sur le bonheur


Je dodeline de la tête, au bord de l’infini

Je ne sais plus où je suis. Je ne suis pas d’ici.

La ville réapparaît dans un éclat mourant

Des petits cris d’oiseaux, charmants et horrifiants

Comme une épave trouée, à-demi submergée

Comme un amour factice appelé à l’oubli

Je m’enfonce doucement dans les sables abolis

Un jour je reviendrai au pays épuré

Plan cul

Garçon gentil, quelconque, dans une chambre épurée

Il se met à genoux et il me dit bonjour

Et bien sûr il me suce sans couper la télé

Son Google Pixel bipe ; les autres attendent leur tour

Figurines de mangas alignées sur une planche

Photographies fixées sur un tableau en liège

Nous avons tous besoin de notre boule à neige

D’un petit monde rangé où jamais rien ne flanche

Des câbles, un peu de poudre, et un lit une personne

Existence minimale ; on s’accroche, on fonctionne.

Tu veux rester un peu ? Il est tard non merci.

Je m’éloigne de l’immeuble ; je ne sais rien de lui.

Les étudiants qui partent en Erasmus ont sans doute l’impression qu’une nouvelle saison de la télésérie s’apprête à commencer

Il y aura de nouveaux décors, des possibilités sexuelles, peut-être sentimentales ; l’exotisme et la difficulté à communiquer facilitent ce genre de choses

Ils marchent avec confiance, entraînés par la musique du générique – et pour un temps, la pensée de la catastrophe globale les a quittés

Les années empilent nos cadavres

Les joies fausses et les corps aimés

Nous refermons nos vies manquées

La nuit est vaste

Nos yeux sont vides

Transparence

Le bureau de l’agence avait une baie vitrée

L’homme avait 35 ans et un t-shirt Mickey

Près d’un faux coléus il traitait des données

Ses gestes étaient prudents et son sourire figé

À 8 heures il rentrait dans son appartement

Ses membres et ses pensées remuaient faiblement

Puis les socio-images recouvraient ses pensées

Et un sommeil obscur dénouait son corps lassé

Au milieu de la nuit nos souffles se mêlaient

Tes yeux me contenaient et me pulvérisaient

Nous flottions loin de tout, dans un rêve fatal

Nos regards prononçaient la promesse terminale

Les maîtres de l’image marchent d’un pas funèbre

Et leurs micro-légendes disparaissent sous nos yeux

Sous l'aube photogénique et vaguement hostile

Les maîtres de l’image circulent dans les ténèbres

Ils appartiennent aux nombres. Ils connaissent les lois.

Les mouvements de leurs lèvres et leurs battements de cils

Paraissent presque authentiques. Le soir est triste et bleu

Le paysage est beau et l’homme n’existe pas

Crépuscule

L’horloge de la cuisine prononce son chant de mort

Tu as tes blessures troubles et tes consolations

Le silence et les meubles abritent d’anciens remords

Le soir descend, porteur d’amères commotions

L’horloge de la cuisine prononce son chant de mort

Tu te souviens des temps naïfs, élémentaires

Les marins aux mains larges, les soldats sacrifiés

Les odeurs âcres et chaudes, les paroles de ton père

Vous couriez, stupéfaites, à travers la vallée

Tu te souviens des temps naïfs, élémentaires

Et les photographies aux sourires cruels

Déchirent lentement les restes d’existence

Restent quelques éclats, chaque jour moins réels

Des joies évanescentes ; des parcelles de conscience

Et les photographies aux sourires cruels

La souffrance ricoche sur l’eau noire de la vie

Tu es seule dans la nuit et tu vois le chaos

Tu voudrais retrouver les mondes engloutis

Revenir, belle et gaie, aux rivages initiaux

La souffrance ricoche sur l’eau noire de la vie

Certains ont aperçu l’ineffable clarté

L’immense gouffre d’amour, les présences, leurs sourires

Tu te souviens des temps où les hommes existaient

La douleur est trop forte ; parfois, tu veux partir

Certains ont aperçu l’ineffable clarté

Conglomérat de solitudes

Dans un wagon sale et crissant

Le malheur pâle et souriant

Et le poids de l’exactitude

Explosion de rancœurs mesquines

Devant la machine à café

Entre deux shoots de dopamine

Il faut toujours s’entretuer

Innocence déchiquetée

Dans l’abjecte machine à désirs

Il faut plaire et se posséder

Il faut s’aimer et se détruire

Conditionnés pour la défaite

Nous traversons des vies abstraites

Un éden plat et irréel

Un néant net et fonctionnel

Une jeune femme swipe comme un insecte

Le regard inquiet et éteint

Ses lèvres se crispent et s’humectent

Elle s’accroche aux reflets du rien

Tutoriels et tranches d’humour

Rage puérile, chansons sans âme

Promesses de fugues fun et glamour

L’ironie humiliant les drames

Blottis comme des chatons blessés

Dans nos chrysalides affectives

Nous attendons l’injustifié

La consolation effective

Piégés dans la toile des désirs

Comme des mouches condamnées

Nous sentons la nuit s’élargir

Exilés de nous-mêmes. Purgés.

Tu étais allongé sous le soleil moelleux

J’aimais te regarder dans ton demi-sommeil ;

J’aimais le regard vague, juste au bord de l’éveil

Clignotant par à-coups sur ton visage heureux


Tu respirais, paisible comme un ciel qui se scinde

Un sourire indolent glissait sur ton visage

J’avais tout oublié. Nous pouvions être en Inde.

D’étranges vibrations circulaient dans l’espace.

Je vois distinctement tes yeux dans le grand noir

C’est toujours à peu près le même rêve, les mêmes mots

Il y a eu un monde au contact de l’espoir

Quand les contours s’effacent je peux toucher ta peau

Nous regardons la ville

Se fondre dans la nuit

Deux prisonniers enfuis

Deux enfants sur une île

Tu me donnes ta peur

Tu enlaces ma douleur

Je te vois. Je t’embrasse.

Mon existence s’efface

Un brusque essoufflement

Je ne comprends plus rien

Tes yeux purs, chancelants

Constituent mon destin

J’aurai connu, parfois, des instants irréels ;

Des anomalies pures, étrangement familières

Semblables aux vestiges d’un monde illuminé

Mouvant comme les rêves, splendide, illimité

L’œil du néant est sûr ; il condense, il détruit,

Et il est l’origine. Le réel n’est qu’un bruit.

Il y a un autre monde ; on le frôle parfois

Un océan sans fin de beauté et de joie

Nous avons marché sur la terre

Parmi les conifères

Nos pas étaient sans poids

Une mystérieuse absence

Se déplaçait en nous

Et dansait dans la lumière

Maintenant, nous le savons

Nous n’avons pas vécu

Pas réellement

Pas plus qu’un rêve